Rencontre + Interview avec Haeghen
Brutal. est allé à la rencontre de la céramiste Amandine Le Drappier dans son atelier parisien. Partons à la découverte de son univers à travers une interview.
Quel est ton parcours et ta formation pour arriver à la céramique ?
J’ai tout abord étudié l’histoire de l’art et les arts plastiques au lycée et à l’université avant de travailler dans la production de clips et publicités. J’ai passé plusieurs années en tant que productrice à donner vie aux idées et créations des réalisateurs avec qui j’ai adoré travaillé. Après quelques années l’envie et même le besoin de fabriquer et d’être en contact avec la matière est devenu omniprésent. J’ai ressorti mes carnets à dessins et j’ai commencé à esquisser toutes ces idées de formes et d’objets qui me traversaient la tête. Et puis, un beau jour j’ai décidé de me lancer, de quitter ce travail très confortable et qui payait bien mais qui ne me rendait plus heureuse. J’ai tout d’abord voulu créer des structures murales abstraites et la terre s’est avéré être le matériau idéal.
Es tu autodidacte ou as-tu appris de quelqu'un d'autre?
Je me suis lancée dans la céramique comme on saute du haut d’une falaise. En me disant qu’aucune expérience n’était inutile et que tous ces dessins avaient besoin de prendre forme et vie. J’ai commencé en lisant quelques bouquins didactiques sur le sujet et en regardant des documentaires et des vidéos de potiers. Je regardais les gestes que je tentais de reproduire dans un atelier partagé de céramistes que j’avais intégré. Tout est venu très naturellement, le travail de la terre a été comme une révélation. Mes mains se trouvaient finalement dans leur élément et les gestes sont devenus surs et précis très rapidement. J’avais bien sur fait de la peinture, du dessin et de la sculpture lors de mon parcours ce qui a été déterminant dans mon évolution. J’ai eu la chance aussi dans cet atelier de rencontrer d’autres céramistes qui ont partagé avec moi leur savoir ce qui m’a permis d’être assez vite en confiance dans mes réalisations.
Te souviens tu de ta première pièce ?
Ma toute première pièce fut un bol, très fin et très évasé en grès chamotte noir réalisé entièrement au pincé. Je l’ai offert à une de mes amies quelques temps après.
Comment définirais-tu ton travail ?
J’ai une approche assez expérimentale de la céramique, ce que j’aime par dessus tout c’est tenter de nouvelles choses, me lancer des défis techniques et esthétiques. Je suis quelqu’un d’assez impatient et même si la céramique m’aura appris la patience, je ne peux pas nier que j’ai tendance à vite me lasser. Du coup je suis toujours en recherche, de nouvelles formes de nouvelles associations. J’aime mélanger des terres qui ne se cuisent pas à la même température, surcuire des émaux, superposer… Je travaille aussi beaucoup sur le thème de l’accumulation dans mes structures murales. Il y a quelque chose d’hypnotique dans l’amoncellement et l’accumulation. Si je devais résumer je dirais un mélange de brutalité et de finesse.
Quel est ton processus de création et de fabrication ?
Je m’inspire beaucoup de la nature. Elle regorge d’épatantes prouesses esthétiques et techniques. Quand une idée est assez forte pour ne pas être chassée par une nouvelle je la dessine, sous tous les angles puis je la peins à l’aquarelle. Cela m’aide à appréhender l’objet en volume des en couleur dans son intégralité. Si une fois ce travail d’esquisse terminé j’aime toujours l’idée alors je passe à la fabrication du prototype en terre. Puis une fois le prototype terminée je le décline avec des terre et émaux différents pour explorer au maximum sa matière et son aspect final. En travaillant ainsi la terre me guide énormément, je la laisse à chaque étape avoir son influence sur ce que sera objet terminée.
Quelle est ta technique favorite ? Ton moment préféré dans le processus ?
J’apprécie énormément le travail a la plaque, comme un architecte qui d’abord fait ses plans puis les monte en 3 dimensions. J’aime découper, assembler, réunir pour construire et élever. J’aime énormément le collage papier et j’essaie de retranscrire cette technique à travers la terre. Assembler des terres différentes, les unir pour créer un objet plus fort, unique et singulier. Le moment que je préfère est certainement la fin du modelage quand l’idée est devenue un objet réel. Il n’a pas atteint encore son aspect définitif mais il n’appartient plus seulement à mon esprit mais il existe dans notre réalité. Il occupe l’espace et on peut le découvrir dans son ensemble, le toucher, le regarder, le soulever… C’est un sentiment assez intense que de donner vie à une idée.
Quel est ton matériau de prédilection ? Qu’est-ce qui te plaît chez lui ?
A vrai dire j’aime autant le grès que la porcelaine et pour des raisons totalement opposées. Le grès une terre robuste aux teintes et aspects multiples (noire, rouge, rousse, blanche grisée, beige… chamottée, lisse, très chamottée). C’est une terre brute que j’aime travailler ainsi. J’aime que mes pièces en grès disposent toujours d’une partie sans émail complètement nue. C’est important pour moi de pouvoir voir et toucher la terre de l’objet, de comprendre et de saisir sa nature.La porcelaine quant à elle je la travaille toujours blanche, toujours en biscuit, c’est à dire jamais émaillée. Aussi pure que possible. C’est une texture si douce et si souple qui permet de créer des objets d’une finesse extrême. Je ne travaille qu’une seule porcelaine fabriquée en Angleterre. La porcelaine a une mémoire très forte et se souvient de chaque geste et coup que l’on peut lui donner. Ils ressortiront à la cuisson même si vous avez cherché à les dissimuler. La porcelaine est pour moi la terre la plus vivante de toutes. J’aime cette force contenue dans cette apparente fragilité.
Qu'est ce qui t'inspire en dehors de la céramique ?
Je suis très attirée par le verre. J’en utilise dans mes lampes en association avec la terre et je travaille avec une vitrailliste pour la découpe. Cette matière m’inspire énormément par ses possibilités et l’incroyable diversité de ses couleurs, ses décors et imprimés (strié, martelé….). et je trouve qu’additionné à la terre cela créer des objets extrêmement apaisants de par leur naturalité. Verre, porcelaine et grès est un mélange que j’adore. J’ai très envie d’en faire fondre aussi dans mon four. Cela fait partie de mon travail de recherche de cette année.
Peux tu nous parler d'un ou plusieurs livres sur la céramique ou sur autre chose d'ailleurs ?
Je suis une fan absolue d’Isamu Noguchi et son livre « A Sculptor ’s World » est une de mes références. Je l’ai lu plusieurs fois et je le feuillette sans cesse. Son univers et son travail me fascinent. La rondeur et la douceur de ses œuvres me donnent une envie irrésistible de les toucher. Tout autant que Jean Arp, qui depuis toujours est pour moi un des plus grands artistes. Il n’a jamais cessé de rechercher de nouvelles formes. Il est resté intemporel et toujours visionnaire. Pour découvrir son travail, son livre « Arp » est un trésor pur et simple de créativité.
Quels sont tes derniers voyages marquants ou tes envies de voyages ?
Mon dernier voyage marquant fut le Costa Rica. C’est un pays où la protection de la nature est un au cœur de la politique du pays depuis des années. Sa faune et sa flore sont très protégées ce qui lui permet d’avoir des paysages préservés sublimes où animaux et humains cohabitent. Il y a la-bas une sorte d’onde bienveillante et nonchalante, la « pura vida » comme ils l’appellent. Au coucher du soleil tout le monde se retrouve naturellement sur la plage pour admirer les couleurs flamboyantes du ciel et faire de grands feux la nuit tombée. Ce fut un voyage magique entre volcans, rain forests et plages paradisiaques.