Rencontre + interview avec Samantha Kerdine

Brutal. est allé à la rencontre de l'artiste Samantha Kerdine dans son atelier parisien. Partons à la découverte de son univers à travers une interview.

Quel est ton parcours et ta formation pour arriver à la céramique ?

J’ai un master en design graphique option recherche et innovation et je suis graphiste DA depuis plus de 10 ans dont 6 ans en freelance. C’est un métier qui m’apporte beaucoup et que j’apprécie énormément, je suis au service des marques, je leur apporte mon expertise, mon goût, pour faire rayonner leurs marques. Fin 2016, j’ai commencé à ressentir une frustration dans mon métier, je ne retrouvais plus la part créative que j’avais adoré dans mes études. J’ai compris qu’il fallait que j’aille chercher ce sentiment ailleurs que dans mes projets de DA. J’ai trouvé un petit atelier de poterie de quartier avec François Dubois en enseignant, j’y ai appris la céramique avec une pratique très libre. J’y suis allée 2h tous les jeudis soirs, pendant presque deux ans. François ne m’apprenait pas comment réaliser un bol avec une technique particulière, mais partait plutôt de mes envies en me conseillant sur la meilleure façon d’y arriver. J’y ai gagné beaucoup de confiance en mes idées et en mes capacités. Puis est venu le moment où ce n’était plus suffisant, j’ai alors rejoint un atelier de céramique partagé, mais je n’y suis restée que deux semaines car j’étais dépendante des autres céramistes pour faire mes cuissons. J’ai donc fait mes calculs, et avec beaucoup de stress, d’anxiété mais aussi d’excitation j’ai acheté mon premier four. 

 

Êtes-tu autodidacte ou as-tu appris de quelqu'un d'autre?

Mon prof de céramique, François Dubois, m’a appris les premiers gestes : le pincé, le colombin, l’émaillage. Quand il a fallu, seule, lancer mon premier four, j’ai réalisé à quel point je ne savais pas grand chose et j’ai tout appris par moi-même, grâce à mes fournisseurs, mais grâce également à de nombreuses personnes sur Instagram qui m’ont donné des conseils (Lucie Faucon, Kim Lê, Salima Zahi pour ne citer qu’elles). J’ai livré des vases qui fuient, j’ai eu des anses qui se sont décrochées pendant longtemps, j’ai eu des tasses qui n’étaient pas stables, et actuellement j’essaie de réaliser une chaise mais je n’y arrive toujours pas. Le chemin de l’autodidacte est un chemin tellement plus long mais j’aime cette route. C’est une voie remplie d’échecs et de frustrations certes mais surtout d’entraide, de conversations, d’apprentissage et mes réussites sont tellement joyeuses que je crois que le jeu en vaut la chandelle.

Te souviens tu de ta première pièce ?

Oui bien sûr, c’était à Atelier Trétaigne, pour mon cours d’essai, j’ai fait deux petites tasses - que j’ai conservées -, et j’ai fait un dégradé rose à l’émail. Je me rappelle avoir trouvé la pratique difficile, et ne pas y être arrivée de suite m’a questionné. J’ai découvert l’importance de prendre le temps de bien finir mes pièces, d’y apporter du soin, j’étais dans une démarche un peu vorace de créativité. Aujourd’hui je donne des cours de céramique au sein de mon atelier et je me reconnais quand je vois certain.es élèves avec cette même frénésie. J’essaie de leur transmettre aussi ce que j’ai réussi à acquérir dans ma pratique : créer sans but précis, juste profiter du temps qu’iels s’offrent et se libérer d’une forme de rentabilité de leur temps.

Comment définirais-tu ton travail ?

J’ai une pratique libre de la céramique. N’ayant pas appris les fondamentaux de la céramique, le vocabulaire ainsi que les gestes précis ne font pas spécialement partie de ma pratique. Mais je ne cherche pas une précision, un geste parfait d’artisan. Je cherche, je crois, à reproduire une émotion, une sensation ou en tout cas me mettre dans un état de création très particulier et qui m’est cher, proche d’une certaine forme de transe. La terre est le matériau que j’utilise en ce moment, mais cela pourrait être autre chose demain : du bois, du papier mâché, de la peinture, du tissu. Ce que j’aime c’est construire des objets dans leur totalité et de manière indépendante mais je ne suis pas attachée au matériau. Récemment Laurent Dubé, un ami artiste, m’a donné ce conseil fabuleux que je tente d’appliquer : “Il faut savoir rester intranquille.”

 

Quel est ton processus de création et de fabrication ?

J’ai des projets qui partent d’une commande, j’élabore un plan de collection, je pars de croquis, avec une gamme de couleurs sélectionnées pour le projet. Je soumets ces croquis à mon client, nous avons quelques allers retours et je créé les pièces.

En parallèle je mène un travail personnel de recherche autour d’objets ou de formes comme cette fameuse chaise que je n’arrive pas à faire tenir, ou bien j’ai réalisé quelques lampes. Dans cette recherche, je crée les pièces que j’ai en tête, sans croquis, sans idée précise, je commence à modeler sans savoir où je vais, et j’engobe de la même manière. La surface de la toile, ou de la feuille de papier m’impressionnent beaucoup, je suis plus à l’aise pour peindre sur une surface en volume comme mes céramiques. Je crois qu’au final, les pièces que je crée me servent de support à peindre.

Quelle est ta technique favorite ? Ton moment préféré dans le processus ?

J’aime bien combiner différentes techniques, j’ai pour habitude de commencer au pincé et continuer au colombin, j’aime bien les formes que cela crée, un peu tordues comme si les pièces étaient vivantes. Et avec du recul, je crois que j’aime la totalité du processus, j’aime les moments de doute, les moments d’intensité, le calme, le moment où les étagères sont remplies, celui où je défourne. Ce que j’apprécie particulièrement c’est de pouvoir partager ces moments, que ce soit avec ma coloc d’atelier Marion Livran, mon assistante Jessica Lemeur, ou encore mes amies céramistes du quartier Kim Lê et Salima Zahi, j’ai l’impression de vivre une grande aventure et c’est très excitant. Dans ma manière de travailler, j’aime rentrer en immersion : j’écoute de longs podcasts et je me laisse guider par mes mains, j’aboutis à une forme que je tente ensuite de transformer en objet. C’est une manière de travailler plus instinctive et déconstruite qui est à l’opposé de ma manière de travailler en tant que DA, je dois désapprendre tout ce que j’ai appris en 10 ans.

Quel est ton matériau de prédilection ? Qu’est-ce qui te plaît chez lui ?

Je travaille avec la faïence, c’est la terre qu’on utilisait dans l’atelier où j’ai pratiqué la céramique, rue Trétaigne. La faïence me correspond parfaitement, les couleurs ressortent intensément et il n’y a pas de déformation à la cuisson. Mais je fais une formation la semaine prochaine au CNIFOP pour apprendre la technique de recherche d’émaux et je crois que je vais devoir m’intéresser de près au grès car la haute température permet d’obtenir des effets incroyables avec les émaux. J’aime que ma pratique soit en mouvement, je ne m’attache pas au matériaux, aux couleurs, à la terre, je reste curieuse de découvrir d’autres pratiques pour que mon travail soit toujours en évolution.

Qu'est ce qui t'inspires en dehors de la céramique ?

Je suis passionnée par la vie des artistes : podcasts, expositions, livres, j’aime particulièrement décortiquer la vie des artistes que j’apprécie. Ces derniers mois j’ai beaucoup lu sur la pratique de David Hockney, et j’ai fait l’acquisition du catalogue de l’exposition The Joy of Nature qui s’est tenue à Amsterdam courant 2019, qui réunit le travail de Hockney et celui de Van Gogh. Le catalogue permet de faire le lien entre ces deux artistes et révèle l’influence majeure de Van Gogh sur l'œuvre de Hockney. Les deux ont en commun une observation intense de la nature, et pour eux deux peindre c’est regarder. Leur travail de la superposition de touches de peinture pour former un tout est ce qui m’inspire le plus dans leur pratique.

J’ai également fait une résidence chez mon ami artiste Laurent Dubé, j’ai pu explorer différents médiums et techniques, comme celle du fixé sous verre, ou du monotype, autant de pratiques qui m’ont mené à amorcer une déconstruction des mécanismes de peinture que je pouvais avoir. Il m’a fait découvrir le travail de Joan Mitchell, qui elle même, est dans une déconstruction de la peinture de fleurs et de paysage. L’impressionnisme et l’expressionnisme abstrait me touchent particulièrement et la dernière exposition de Damien Hirst à la fondation Cartier, bien que controversée, m’a profondément touchée. J’y ai adoré la double lecture des toiles : de près, une juxtaposition de touches de couleurs; de loin, des cerisiers en fleurs.

Peux tu nous parler d'un ou des plusieurs livres sur la céramique ou sur autre chose d'ailleurs ?

Je lis en ce moment “Les artistes ont ils besoin de manger?” ouvrage collectif édité par Coline Pierré et Martin Page qui détaille précisément les processus de création des artistes d’aujourd’hui. On y parle concrètement de ce qu’il y a dans leur frigo, à quelle heure ils créent, comment gérer le travail de commande et celui de création. Ce sont des questions qui m’animent, et n’ayant pas baigné dans un environnement d’artistes, ni fait les Beaux Arts, j’ai la sensation de pouvoir entrer en dialogue sur des questions concrètes de la vie d’artistes. 

Dans un registre un peu similaire, le petit livre “David Hockney en Pays d'Auge” m’a beaucoup plu, il relate le quotidien de Hockney pendant le confinement, sa passion pour l’observation de la nature, son rapport au travail sur la peinture à l’ipad versus celui sur une toile.