Rencontre + interview de la céramiste Violaine Toth
Brutal. est allé à la rencontre de la céramiste Violaine Toth dans son atelier à Berlin. Partons à la découverte de son univers à travers une interview.
Quel est ton parcours et ta formation pour arriver à la céramique ?
J’ai fais un Master de design Objet-Espace (Esad Orléans, 2012-2017). Là-bas, j’ai découvert différentes techniques et artisanats grâce aux ateliers (Bois, céramique, métal, 3D,…) et aux nombreux stages que j’ai fait en France et à l’étranger (souffleurs de verre, ébénistes, vannerie, textiles, céramique, etc.) Lors d’un stage à Eindhoven (Hollande,2015) pour une designer textile, j’ai découvert l’atelier de Helke Van den Berg juste à côté du studio où je travaillais et j’allais observer son travail de moulage dès que j’avais une minute de libre. Quand je suis rentrée en France, j’ai commencé à passer le plus clair de mon temps à l’atelier céramique de mon école à expérimenter dans mon coin et aider les nouveaux élèves.
J’ai su très tôt que je voulais travailler dans un atelier mais c’est pendant mon master que j’ai eu le vrai déclic. J’ai travaillé en collaboration avec un céramiste orléanais (Michael Buckley) pour mes prototypes de diplôme, des pièces en terra cotta pour accueillir les insectes et les oiseaux dans les espaces publiques. C’est cette préoccupation pour la nature en milieu urbain et ma fascination pour la céramique qui m’a amené à Berlin après l’obtention de mon diplôme.
En août 2017, je suis arrivée à Berlin pour faire initialement un stage de 6 mois avec la designer de porcelaine Anna Badur. Avec elle, j’ai appris les rudiments du métier de designer : comment emballer les produits, trouver des clients, faire des prix, des factures... En parallèle, comme j’avais aussi envie d’apprendre le tour à potier, j’ai passé mes soirées et mes weekends dans un des premier atelier de céramique de Berlin, Ceramic Kingdom qui aujourd’hui compte parmi les plus gros espaces dédiés à cette discipline à Berlin. Je les aidais dans les tâches de l’atelier et en échange ils me prêtaient leur matériel pour que j’apprenne seule. A la fin de mon stage et après 6 mois d’apprentissage du tours, j’ai commencé à enseigner la céramique et un an après j’ai fondé mon studio.
Es-tu autodidacte ou as-tu appris de quelqu'un d'autre?
Je dirais que je suis partiellement autodidacte car je n’ai jamais pris de cours de tours ni regarder de tutoriels. Cependant, j’ai baigné dans un environnement artistique pendant des années, et était en contact avec des artisans et professionnels du domaine. Mes parents m’ont toujours poussé à m’intéresser à l’histoire de l’art, la peinture, la sculpture et aller à des expositions. Depuis toute petite, je fabrique avec mes mains et dessine beaucoup.
Te souviens tu de ta première pièce ?
Très bien. Quand j’avais 7 ans, j’allais tous les mercredis dans une école d’art et j’ai toujours cette tête de cocker anglais qui trône dans la bibliothèque de la maison familiale. C’est plutôt laid mais j’aime bien l’émaille qui dégouline sur les deux longues oreilles de chaque côté.
Comment définirais-tu ton travail ?
Au risque de passer pour une hipster berlinoise, je dirais « dark, raw and pure ». Pour élaborer mon esthétique, j’ai fait un mélange de mon ressenti à mon arrivée à Berlin et ce que cet environnement m’évoquait. J’étais un peu triste, déterminée et je voyais cette ville comme douce et sombre à la fois. Une esthétique brute sans émaillage, en courbe et en monochrome de noir paraissait appropriée. Plus sérieusement, je m’intéresse beaucoup plus à la forme et l’appréhension d’un objet et la façon dont l’air circule autour d’une pièce que sa couleur ou ses motifs. Je travaille avec ce grès noir car je trouve qu’il se suffit à lui-même. Les courbes ont toujours été très présentes dans mon travail depuis le début de mes études de design. Je trouve que c’est une bonne manière d’engager une interaction entre la main et l’objet.
Quel est ton processus de création et de fabrication ?
En général je dessine plusieurs formes en vrac dans un carnet et puis j’improvise. Je tourne la base de mes pièces au tour et je viens ajouter les anses et mon logo à la main. Je laisse souvent mes pièces non émaillées à l’extérieur.
Quelle est ta technique favorite ? Ton moment préféré dans le processus ?
Comme beaucoup de céramistes, je dirais le tournassage. Le grès noir que j’utilise crisse sous le métal de ma gouge et c’est un bruit très satisfaisant. Si j’utilise une estèque en métal contre la surface de ma pièce, elle se polie et devient brillante. C’est une vrai fascination de voir les différentes textures qui peuvent être créées à partir d’une seule terre.
Quel est ton matériau de prédilection ? Qu’est-ce qui te plaît chez lui ?
Comme je l’ai évoqué précédemment, le grès noir est ma marque de fabrique et le matériau qui me représente le mieux. Il est très malléable et me donne un côté badass qui me plaît bien. Il fait mal aux mains, du coup peu de personne travaillent avec. En ce moment j’expérimente beaucoup sur des pièces blanches et mes doigts me remercient.
Qu'est ce qui t'inspire en dehors de la céramique ?
La hipster berlinoise répondrait le tatouage ainsi que la scène Queer et féministe. Mon énergie créative est souvent poussée par mon envie de collaborer avec d’autres artistes engagés et de me démarquer en temps que femme artiste queer. La visibilité que ma pratique m’a apportée, notamment sur les réseaux sociaux, m’a donné un espace pour exprimer mon identité et mon militantisme en devenir.
A travers l’univers que je me suis construit, j’essaye d’encourager d’autres personnes à se lancer dans ce qui leur plaît, à s’accepter tels qu’ils sont et à affirmer leurs différences qu’elles soient identitaires, sexuelles, idéologiques, physiques, raciales...
Peux tu nous parler d'un ou des plusieurs livres sur la céramique ou sur autre chose d'ailleurs ?
Ce n’est pas un livre mais une série de vidéos « Terre ! » par l’académie des savoirs-faire Hermès qui m’a beaucoup marqué pendant mes études et qui retrace l’histoire technique et culturelle de la céramique.
Le musée de la céramique au dernier étage de la fabrique Ittala à Helsinki que j’ai visité il y’a quelques années m’a aussi beaucoup inspiré.
Un livre qui a sans doute influencé ma pratique et ma recherche de simplicité : « l’Éloge de l’ombre » de Junichirô Tanizaki
Rien à voir avec la céramique mais comme je l’ai évoqué plus haut, les problématiques de genres et la recherche identitaire font partie intégrante de ma recherche. En ce moment, je lis « Les sentiments du Prince Charles » de la très géniale suédoise Liv Strömquist, « Queer intentions » de Amelia Abraham et « is Gender fluid ? » par Sally Hines.
Quels sont tes derniers voyages marquants ou tes envies de voyages ?
Explorer la Finlande pendant 8 mois (2016) a été une des expériences qui a le plus influencé ma production et mon parcours. Là-bas, j’ai pu découvrir de nouvelles formes de collaboration designers/ artisans et une esthétique tout à fait nouvelle très inspirée des rythmes saisonniers et de la nature en général comme celle d’Alvar Aalto par exemple.
Plus récemment, j’ai quitté la France pour réaliser ma vie de céramiste à Berlin. Dans ce sens, je dirais que ma vie de tous les jours est un voyage où j’apprends à m’adapter à une culture et un environnement différent de celui où j’ai grandi et celui-ci influence beaucoup ma méthode de travail et ma recherche esthétique.
Cela peut paraître étrange mais pour le moment, je n’ai pas d’envie de voyage particulièrement. J’ai l’impression d’avoir encore tellement à découvrir dans mon pays d’accueil et tellement de projets en cours à Berlin que je n’en ressens pas le besoin. J’attends l’été berlinois avec impatience et j’ai bien l’intention de ne pas en manquer une seule seconde.